Le bon goût, et la règle établie, est de demander à un critique littéraire de parler de votre dernier livre. Aucun d’eux n’en ayant fait la demande pour le mien, j’ose prendre leur plume. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Vous allez me traiter de vaniteux, de présomptueux, d’irrespectueux. Qu’importe, je demeure, dans un monde qui se déchire et ne croit plus en lui, un éternel optimiste. Les optimistes ont inventé l’avion, les pessimistes le parachute. Je reste dans l’avion.
Voici donc mon trentième livre. Une compression des vingt-neuf premiers, une sorte de César dont je décris la mort dans mes bras, mais surtout les morceaux de vie partagés lors des rencontres qui ont borné mon existence. La première fut celle de Jean-Claude Baudot à cinq ans. Nous réussirons, quinze ans plus tard, le premier tour du monde en voiture, une 2 CV qui changera ma vie, me faisant abdiquer de mon doctorat en pharmacie.
Dès mon retour débutera le tourbillon de mes coups de cœurs, de Roger Théron à Match, mon premier job, à Pierre Lazareff à France-Soir, mon premier mentor, dont je serai pour un temps rédacteur en chef. Pierre, pour mes trente ans, m’invitera au Fouquet’s où il avait sa table. Ce déjeuner sera pour moi une révélation pour ne pas dire une révolution. Au dessert, Pierre me foudroiera d’un : « France-Soir va mourir, va dans un métier neuf, va dans la publicité ». Le lendemain je frapperai à la porte de mon destin de fils de pub.
Ce livre est un livre passion, passion de l’aventure, de la vie, de l’autre, de la pub, des idées, de l’engagement, de la politique, de Mitterrand la victoire à Jospin l’échec, de Sarkozy l’ami de quarante ans dont je vivrai en direct le coup de foudre avec Carla, à Macron dont j’accompagnerai les premiers pas de candidat. De chacun je raconte le bonheur vécu, de tous j’apprends le meilleur. La pub sera le ciment de mon existence, elle ne m’a jamais déçu, jamais trahi, jamais quitté.
Ce livre est un livre de rencontre. Ainsi ma première pub me fit découvrir, voici soixante-cinq ans, mon maître à penser : Jacques Prévert. J’osai lui proposer d’utiliser un de ses terrifiants collages pour lancer un antidouleur, le Glifanan. Je frappai à sa porte et le conte de fées commença. L’auteur des Enfants du paradis habitait Pigalle, au-dessus de la terrasse du Moulin-Rouge. Il m’ouvrit lui-même. Je m’étais imaginé que le pape de Saint-Germain-des-Prés aurait une mine de poète et une mise d’artiste. Prévert avait la tête d’un petit retraité et flottait dans une robe de chambre de la Samaritaine, un mégot de gitane papier maïs pendant à ses lèvres. Mais le plus étrange était ses inséparables pantoufles. Il les gardait même pour sortir. Je ne pouvais me faire à l’idée que cet homme qui avait révolutionné le cinéma, fait exploser la littérature et réinventé la poésie put mener une vie pantouflarde. Il n’empêche, il avait gardé l’âme acide et mordante de l’éternel étudiant en révolte. Pour mon plus grand bonheur il m’invita sur-le-champ à déjeuner, en me priant d’aller acheter au coin de la rue un Petit Robert. Je me précipitai vers la librairie pour remonter avec la dernière édition du dictionnaire. Lorsque je le posai sur la table, le maître éclata de rire.
– Séguéla, que voulez-vous que nous fassions de cela pour le déjeuner ? C’est un camembert « Petit Robert » que je vous avais demandé !
Ce livre est un livre de vie. Vous y croiserez, pêle-mêle mais toujours le cœur en bandoulière, Dali et son poids des mots, Andy Warhol et son choc des couleurs, Dali et son choc des images, Dali et son impétuosité, Gainsbourg et son premier film de pub, Romy Schneider et sa magie sur pellicule, Bernard Kouchner et son engagement, Bernard Tapie et son entêtement, Christine Ockrent et sa force, Claudia Schiffer et sa témérité, Coluche et sa bonté, Poutine et son inhumanité. Et tant d’autres qui m’ont montré le chemin.
Mais au-delà de tout, ce livre est le livre de ma femme. Aussi ai-je choisi ces dernières lignes de l’ouvrage. Elles lui sont consacrées et consacre notre amour.
« Sophie, ma Sophie, tu m’as appris que la plus belle façon de marcher, c’est d’aimer. Mon passé de récidiviste matrimonial me condamnait à la réclusion solitaire à perpétuité. Je traversai l’existence le cœur en bandoulière, j’aimais les femmes, tu m’as fait aimer la Femme.
Comment ne pas t’aimer ?
Sophie, ma Sophie. Quel sale gosse j’étais à quarante ans. Ta droiture a eu raison de mes zigzags passés. Ta pureté m’a purifié, ta beauté, hors de l’atteinte du temps, m’a mis à l’abri de toute tentation. J’étais un raté de la vie affective. Tu as fait de moi un homme. Dieu existe puisque je t’ai rencontrée. Il nous a unis pour le meilleur et pas un seul jour, pas une seule minute, pour le pire. L’amour n’est grand amour que s’il dure. Il est l’éternité sur Terre.
Comment ne pas t’aimer ?
Sophie, ma Sophie, tu as été ma délivrance, tu m’as offert un paradis que je croyais perdu. Toi, la belle qui sais ne pas en jouer, toi la forte qui sais avouer tes faiblesses, toi la sage qui sais vivre en cascade de rires, en cascade de bonheur.
Comment ne pas t’aimer ?
Sophie, ma Sophie, tu es ma possibilité d’une île. Tes baisers de sel, tes caresses de vent ne me lassent jamais, ne me laissent jamais, ne me lèsent jamais, tu es ma perpétuelle envie de vie. Elle est si belle la vie, elle est si pleine la vie, elle est si forte la vie, elle est si courte la vie.
Sophie, ma Sophie je t’aime à toujours, je t’aime à jamais. »