Rares sont les maisons de Champagne à posséder un savoir-faire que se transmettent les générations d’une même famille depuis quatre siècles. Aujourd’hui, c’est Alexandre Cattier qui tient les rênes du domaine, mais son père, Jean-Jacques, n’est jamais très loin. Le patriarche et son fils possèdent une même vision de leur métier. Interview croisée.
La vigne était-elle vraiment un choix ? Peut-on s’affranchir d’un héritage tel que le vôtre ?
Jean-Jacques : la Maison Cattier est une entreprise familiale et, comme dans toute entreprise familiale, la notion de reprise du flambeau existe. J’ai un frère aîné qui s’y investissait déjà donc cela m’ouvrait le champ des possibles. Je me suis tourné vers des études scientifiques avant de partir faire mon service militaire aux îles Kerguelen. À mon retour, je devais choisir entre intégrer Maison Cattier ou poursuivre le travail entrepris pour l’institut d’astrophysique pendant les douze derniers mois. Mes parents m’ont incité à les rejoindre, ce que j’ai fait.
Alexandre : je ne suis pas tombé dans la marmite quand j’étais enfant. Et d’ailleurs, à l’heure du choix, travailler dans l’entreprise familiale ne m’attirait pas particulièrement. Je voyais mon père très absorbé par ses obligations professionnelles et je ne m’imaginais pas prendre sa suite. J’ai donc poursuivi des études scientifiques, puis j’ai obtenu un Deug de mathématiques mais la filière ne me séduisait pas. En prenant de l’âge, j’ai reconsidéré ma position initiale et là où, plus jeune, je ne voyais que du négatif, j’ai réalisé que travailler la terre était noble et que le contact avec la clientèle était enrichissant. J’ai passé mon diplôme d’œnologue, je suis parti six mois en Australie et à mon retour, j’ai intégré la Maison Cattier.
Que vous apportez-vous mutuellement au sein de la Maison Cattier ?
Jean-Jacques : nous nous apportons beaucoup ! Statutairement, je suis retraité mais je mets aujourd’hui mon expérience au service de tous. Je dirais que je suis un homme à tout faire, j’interviens là où l’on a besoin de moi, pour des tâches administratives, pour rédiger le bulletin de communication ou des articles. Avec mon fils Alexandre, nous échangeons presque quotidiennement et le résultat est toujours constructif.
Alexandre : mon père m’apporte l’expérience et la sagesse. Nous l’appelons affectueusement le patriarche. Nous échangeons énormément. Nous ne rencontrons pas de problème intergénérationnel parce qu’il a su s’effacer intelligemment même s’il reste très présent dans l’entreprise et vient sur place tous les jours.
Comment votre engagement en faveur d’une politique RSE se traduit-il ?
Jean-Jacques : la Maison Cattier n’a pas attendu que la RSE fasse son apparition dans le monde de l’entreprise pour respecter la terre et les hommes. Mon père travaillait dans les vignes avec ses ouvriers et j’ai suivi son exemple, en passant de la taille des vignes aux travaux en cuverie. Nous étions reconnaissants envers les ouvriers de la Maison Cattier et le respect était naturel et mutuel. Même chose pour la terre, nous n’avons rien inventé, nous étions partisans d’une culture traditionnelle. Ensuite, nous avons pris en compte les nouvelles contraintes et les nouveaux modes de culture. c’est mon père qui a engagé le processus, même si nous n’avons pas normé les actions. Nos collaborateurs composent la famille élargie et nous avons très peu de turn over.
Grand Maison Cattier : innovation et/ou tradition ?
Jean-Jacques : l’un ne va pas sans l’autre et les deux sont complémentaires. L’innovation est indispensable. Mon père travaillait avec deux chevaux, ce qui serait impensable aujourd’hui. La tradition est un bien précieux, surtout pour l’appellation Champagne. À nous de respecter ceux qui nous ont précédés et nous ont fait avancer. Concernant l’innovation, la Maison Cattier a été précurseur, au niveau du packaging par exemple. Il y a quinze ans, la cuvée Armand de Brignac a été présentée dans une bouteille or avec habillage en étain. C’était très innovant et il fallait oser ! On peut dire que nous avons désinhibé la tradition champenoise. Depuis, nous sommes imités dans la démarche.
Alexandre : dans l’univers du vin, la tradition symbolise nos racines. Parallèlement, il faut savoir se renouveler et donc innover. Les deux restent indissociables.
Jean-Jacques Cattier
La passion pour la vigne est-elle héréditaire dans votre famille ?
L’environnement dans lequel on grandit marque inévitablement. Lorsque j’étais enfant, je vivais les vendanges comme une fête. Je dirais que quand on tombe dans la marmite à la naissance…
Quelle est la cuvée dont vous êtes le plus fier ?
Je serais tenté de dire que je suis très fier de la qualité de toute notre gamme, du brut jusqu’au Clos du Moulin, qui est extraordinaire. Évidemment, affectivement parlant, j’ai un attachement particulier au Clos du Moulin, qui a été lancé par mon père. Il s’agit d’une cuvée emblématique pour nous qui figure dans les toutes premières des Clos en Champagne. Chaque génération a apporté sa pierre à l’édifice : mon père l’a créée, moi-même, au début des années 1980, j’ai décidé de tirer une bouteille spéciale et Alexandre a imaginé une bouteille propre à la Maison Cattier avec des étiquettes en étain.
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Il n’y en a pas un en particulier mais plusieurs. Nos belles récompenses bien sûr. Le développement de la Maison Cattier à l’international avec notamment Armand de Brignac qui a gagné en prestige. Nous avons été invités au Japon, dans des clubs pour milliardaires. Ce sont des souvenirs inoubliables.
Votre fils Alexandre représente la 13e génération, la 14e est-elle déjà dans les starting-blocks ?
Peut-être… On m’a rapporté quelque chose récemment qui tendrait à prouver que oui, mais restons prudent. Mon petit-fils Armand est en classe de seconde et a participé à un forum de présentation des formations post bac. Il s’est renseigné auprès d’un stand tenu par des œnologues de Reims…
Alexandre Cattier
Parlons chiffres. Aujourd’hui, Maison Cattier c’est ?
Le domaine compte 22 hectares de vignes en propre et nous exploitons 11 hectares sur la partie nord, qui appartiennent à la famille, mais d’un cercle plus éloigné. La production tourne autour de 600 000 bouteilles par an, dont la moitié à l’export. La Maison Cattier emploie 42 personnes et engage environ 80 saisonniers pour les vendanges.
Votre CA 2024 est-il en progression ou en régression par rapport à celui de l’année précédente ?
L’exercice des domaines viticoles court du 1er août au 31 juillet de l’année suivante. En 2024, notre CA s’élève à 6,7 M€, en baisse d’environ 15 % par rapport à celui de 2023. À cela, une explication : pendant la période Covid de 2020/2021, les ventes ont été conséquentes, puis il y a eu un réajustement des stocks et les ventes ont baissé.
Comment votre clientèle se répartit-elle ?
Il m’est difficile de vous répondre, notamment en ce qui concerne l’export car chaque importateur a son propre réseau. En France, nous ne travaillons pas avec la grande distribution mais plutôt avec notre réseau de cavistes.
Quel est le top 3 de vos pays clients ?
Les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni. Le Brexit a un peu compliqué les exportations vers ce dernier, et nous devons gérer les lourdeurs administratives liées à la sortie du pays de l’UE mais nous nous adaptons.
Quels développements pour la Maison Cattier en 2025 ?
Notre développement dans l’Hexagone est positif, nous allons poursuivre sur notre lancée. À l’international, il reste propre à chaque pays. Le marché nord-américain est en baisse car le continent est davantage touché par l’inflation que l’Europe et la régulation des stocks y est trop importante actuellement. Nous souhaiterions reconquérir l’Australie, où nous étions présents voici quelques années. Il s’agit là d’un marché à redynamiser. Nous aimerions également être de retour à Taïwan et nous nous attachons à redévelopper la Chine. Contrairement au cognac qui va être surtaxé jusqu’à environ 35 %, voire plus, par l’empire du Milieu, en réponse aux droits de douane sur les voitures à batteries chinoises voulus par l’UE, le champagne ne devrait pas être impacté. La Chine n’est pas un pays consommateur de champagne ; il se vend là-bas 1,3 million de bouteilles, hors Hong Kong (2 millions) et, en comparaison, 26 millions de bouteilles sont vendues chaque année au Royaume-Uni. Nous avons aussi des projets de rénovation de bâtiments sur le domaine, ce qui va nous demander un effort financier de plusieurs millions d’euros.
Maison Cattier pratique une communication discrète. Cette communication plus ciblée correspond-elle à l’image que vous souhaitez donner de votre Maison ?
Tout à fait, nous pratiquons une communication que je qualifierai de mesurée. L’idée n’est pas d’être tapageur mais ciblé. Ce qui correspond à l’image de la Maison Cattier.
Propos recueillis par Cécile Olivéro
